41Le psautier est traditionnellement compris comme un ensemble de 5 livres ; les psaumes (Ps) 90-106 constituent la 4e partie et se caractérisent par la mise en avant de la figure de Moïse. Un thème commun à ce groupe de psaumes est la fragilité humaine, face à la souveraineté du Dieu de l’alliance perçu comme un refuge sûr. Cette affirmation dans les Ps 90-92 va de pair avec l’expression de la plainte du psalmiste.
42[...]
43Dans le Ps 90, on trouve plusieurs références à Moïse et son histoire, ce que souligne clairement le Targum ; la tradition juive postérieure donne Moïse comme auteur des Ps 90-100, en lien avec chacune des tribus d’Israël (Ps 90 pour Ruben, selon le midrash). Dans le judaïsme encore, ce psaume est utilisé lors des funérailles (comme d’ailleurs les Ps 91-92). Les commentateurs chrétiens anciens du Psautier comme Basile ou Athanase mettent plutôt en valeur l’image du Dieu refuge. Pour l’époque moderne, l’auteur cite l’hymne d’Isaac Watts (1719), qui amplifie cette célébration du Dieu refuge, et cet hymne est encore utilisé officiellement au Jour du Souvenir ou lors de funérailles nationales en Angleterre. Mais il y a aussi des versions poétiques « privées », comme celles de Robert Burns et Francis Bacon. Deux interprétations musicales sont signalées, celle d’Elgar et celle de Charles Ives à partir de la Bible King James.
44Dans le Ps 91, Dieu délivre du mal. Le Tg lit dans ce Ps un dialogue entre David (v. 2-8) et Salomon (9-13), les derniers versets donnant la parole à Dieu. On a découvert une proximité notable de ce Ps avec un texte phénicien du 7e s. avant notre ère (prière pour demander l’aide des divinités), un texte dont il était fait un usage apotropaïque ; or à Qumran, le Ps 91 est donné comme le 4e psaume d’exorcisme. Cet usage apotropaïque est confirmé par plusieurs points de la traduction de la LXX – ce qui apporte un éclairage sur la manière dont le Ps 91 est cité dans le récit des tentations de Jésus. Dès les premiers siècles chrétiens, ce Ps est repéré comme un texte d’exorcisme, il est par exemple utilisé sur des linteaux de porte en Syrie, Chypre et dans deux églises byzantines de Ravenne. Les v. 4-5 et 11 se trouvent sur des amulettes (datées des 6e-12e s.). On peut comprendre alors que depuis le 6e s., le Ps 91 avec les Ps 4 et 134 soit au cœur de la liturgie de complies (protection du Christ contre les démons de la nuit). Dans les enluminures (Psautier d’Utrecht), le Ps 91 est illustré par des représentations du Christ foulant des démons de forme animale (cf. les images du texte). Au plan de la création musicale, plusieurs versets sont repris dans l’Elijah de Mendelssohn, ou encore par un compositeur juif contemporain, Allon Wallach, ainsi que dans l’album Theology de Sinead O’Connor.
45Le Ps 92 a pour titre « Chant pour le shabbat », ce que confirme la Mishnah. Le verset central (v. 8) établit un lien avec le thème de la royauté de Dieu dans le Ps 93. Dans la tradition juive, plus largement, ce Ps est associé à Adam : ainsi pour le Tg, c’est « un Ps qu’Adam offrit le jour du shabbat ». Rachi en donne une interprétation eschatologique. Dans la liturgie juive, il est utilisé pour l’entrée dans le shabbat le vendredi soir ; et pour la Kabbale, les Ps 29, 95-99 figurent les sept étapes de la montée vers l’union mystique avec Dieu. – À l’inverse peu de références au Ps 92 dans le christianisme ancien. Le Psautier d’Utrecht et celui de Saint-Alban illustrent le Ps avec une figure du psalmiste dans un jardin paradisiaque. En musique, on peut signaler l’arrangement musical commandé à Schubert pour ce Ps par Salomon Sulzer, ainsi que le Requiem juif composé par Eric Zeisl en 1945.
46La réception de ces psaumes, au-delà de l’histoire biblique, montre l’universalité de leurs thèmes, tout en maintenant leur lien fondamental avec le judaïsme et le christianisme. Leur réception multiple illustre comment la psalmodie peut contribuer à une « conversation multiculturelle ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.