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dimanche 30 décembre 2018

Dr. Ștefan MUNTEANU: LE PSAUTIER DE LA SEPTANTE/ Dr. Ștefan MUNTEANU Institut de Théologie Orthodoxe Saint-Serge, Paris (France)


Dans l’Église orthodoxe, comme dans toutes les Églises orientales, le texte de la Septante (LXX) reste encore en usage dans les célébrations. Ceci est valable surtout pour le Psautier qui, à côté des Évangiles, représente le livre le plus utilisé des Saintes Écritures. Malgré l’existence de traductions de la Bible faites à partir de l’original hébreu, le Psautier contenu dans ces dernières n’a jamais fait l’objet d’une réception unanime dans les célébrations. Ainsi, en grec ou en traductions établies à partir du texte grec, les psaumes de la LXX sont toujours récités et chantés lors des offices liturgiques, priés et médités en privé par les fidèles1. Cette préférence est vue dans l’orthodoxie comme l’expression de sa fidélité à ce qu’elle appelle la Sainte Tradition.

Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le Psautier de la LXX concerne aussi les catholiques et les protestants, bien que les psaumes utilisés dans les célébrations soient en règle générale basés sur le «texte massorétique» (TM). En effet, le Psautier de la LXX a été employé dans la liturgie latine romaine jusqu’au siècle dernier par le biais de la Vulgate. Quant aux traductions bibliques contemporaines, elles se réfèrent au texte de la LXX lorsque le texte hébreu des psaumes présente des difficultés, par exemple un mot ou une forme incompréhensible ou énigmatique2.

Une présentation du Psautier de la LXX s’avère donc importante pour le comprendre dans son originalité et dans ses divergences avec celui de la Bible hébraïque, et pour connaître également les principales particularités du Psautier orthodoxe.

1. L’édition critique d’Alfred Rahlfs

Le texte grec du Psautier de la LXX a été transmis à travers d’innombrables manuscrits et la liste même des témoins du Ier millénaire comporte des centaines de textes. Bien qu’il existe une telle quantité de témoins, on ne trouve guère de traces du texte du Psautier avant l’ère chrétienne et il n’existe que peu de fragments datant d’avant le IVe s.3 Parmi les plus anciens manuscrits chrétiens de la LXX, il y a les fameux codex Vaticanus (IVe s.), Si- naïticus (IVe s.) et Alexandrinus (Ve s.). Cependant, seul le Sinaïticus nous offre le texte complet du Psautier.
Psalmi cum Odis, le Xe volume de la Göttingen Septuaginta, constitue l’édition critique manuelle des psaumes. Publiée pour la Ière fois en 1931 par Alfred Rahlfs (1865-1935), elle fut rééditée en 1967 et 1979. Le même texte est reproduit dans l’édition critique la plus accessible de la LXX, Septuaginta de A. Rahlfs (Stuttgart 1935, 19792), révisée et corrigée par Robert Hanhart en 2006. L’auteur y distingue six familles de textes selon la provenance des manuscrits de référence: 1) le texte de Basse-Égypte; 2) le texte de Haute-Égypte; 3) le texte occidental; 4) le texte origénien; 5) le texte lucianique; 6) des textes mélangés et inclassables.

La recherche a beaucoup évolué depuis 1931 et le nombre de témoins est plus important aujourd’hui4. En effet, le nombre total de témoins cités par Rahlfs est de seulement 59 manuscrits grecs et 5 versions filles (Bo, Ga, La, Sa, Sy). De plus, en dehors de six de ces manuscrits (א, B, R, S, 1219, 55), les autres sont présents de manière très fragmentaire, certains contenant à peine plus d’un verset.

En ce qui concerne les témoins patristiques, Rahlfs affirme qu’il n’y a que quatre auteurs qu’il a complètement comparés: Augustin (Commentaire des Psaumes), Hésychius de Jérusalem (Commentaire des Psaumes), Jérôme (La lettre aux goths Sunnia et Fretela) et Théodoret de Cyr (Commentaire des Psaumes). A ceux-ci, il ajoute de temps en temps quinze autres auteurs, souvent à partir des meilleures éditions à sa disposition, mais quelquefois directement à partir des manuscrits5.

Enfin, Rahlfs encadre parfois entre crochets des mots ou des parties de texte qui, selon lui, ne peuvent être considérés comme authentiques malgré un large soutien dans les traditions textuelles (cf. Ps 13,3; 17,20; 24,14; 37,21; 65,1; 70,21). Ainsi, une meilleure édition critique des psaumes de la LXX reste encore à venir!

Le Psautier liturgique orthodoxe quant à lui repose sur le texte dit «lucianique», c’est-à-dire la révision de la LXX faite par Lucien d’Antioche (prêtre et martyr du IIIe s.) à partir de l’hébreu et d’autres traductions grecques. D’après Rahlfs, les citations et les commentaires des psaumes que l’on trouve chez Jérôme, Théodoret de Cyr et Jean Chrysostome suivent cette révision, ce qui atteste de sa large utilisation dans l’Église d’Orient à cette époque. Néanmoins, au fil des manuscrits byzantins, ce texte nous est parvenu assez corrompu.

Á présent, en langue liturgique (grec ancien, slavon, vieux géorgien) ou vernaculaire (roumain, serbe, français, anglais, fin- landais, japonais), le Psautier orthodoxe reproduit l’un de ces trois textes: 1) celui de la Bible de l’Église grecque réalisée par Panagiotis Bratsiotis en 1937; 2) celui de la Bible de la LXX publiée à Moscou en 1821 avec la bénédiction du Saint Synode de l’Église Russe et utilisée depuis par les moines du Mont Athos; 3) celui de la Bible slavonne réalisée entre 1751-1756 à Saint Petersbourg sous le règne de l’impératrice Élisabeth6.

En français il existe deux traductions: celle du Père Placide Deseille, Les Psaumes: prières de l’Église. Le psautier des Septante (Athènes, Tinos, 1999) et celle de Delphine Weulersse (moniale Anastasia), Psautier liturgique orthodoxe version de la Septante (Paris, Le Cerf, 2007).

 2. La double numérotation

Dans les Psautiers orthodoxes, les psaumes sont numérotés selon la LXX. Les éditions protestantes suivent, quant à elles, la division propre à la Bible hébraïque. Quant aux Psautiers catholiques actuels, leur traduction est faite à partir du TM, mais on a souvent une double numérotation: le premier nombre est celui issu de l’usage de la Vulgate (et donc de la LXX) et le second, disposé entre parenthèses, correspond au TM. Même si en fin de compte les deux collections, grecque et hébraïque, présentent les 150 psaumes dans le même ordre, chacune les divise ou les re- groupe de façon un peu différente. Ceci s’explique par le fait que tant dans la tradition juive que dans l’Église ancienne, le nombre et le découpage des psaumes ait fait l’objet de nombreuses variations.

En ce qui concerne la version hébraïque, nous savons d’après les sources rabbiniques que les différences dans la division et la combinaison des psaumes ont perduré très longtemps. En voici quelques exemples:

- Le Talmud de Babylone parle à un moment d’un Psautier avec un Alléluia écrit en plein milieu d’un psaume, c’est-à-dire, avec deux psaumes Alléluia fusionnés (cf. Pessahim 117a).
- Un ensemble de 147 psaumes, correspondant aux années du patriarche Jacob (cf. Gn 47,28), est connu dans certains manuscrits7. - Dans la Genizah du Caire (dépôt de manuscrits dont les plus anciens remontent au IXe s. de notre ère) il existe un psautier de 149 psaumes; c’est également le cas du Codex de Léningrad (1008-1009) et des Bibles de Brescia (1494) et Naples (1491-1494)8. Un tel nombre est connu par Shmuel ha-Nagid (993-1055), poète, grammairien, chef des juifs en terre espagnole et vizir de Gre- nade, qui a écrit pour cela un poème de 149 lignes9.
- Il existe aussi des Psautiers de 148, 151, 159 et même 170 psaumes10.

Dans tous ces cas, la modification ne semble pas être dans le contenu mais dans la division et la combinaison des unités psalmiques. Ceci nous montre que le contenu et l’ordre étaient fixes, même si la numérotation ne l’était pas.

En effet, dans les anciens manuscrits hébreux, seuls les psaumes pourvus d’un titre permettaient des subdivisions claires. Dans les manuscrits découverts à Qumran le texte est écrit en prose sans aucune séparation11. Les codex médiévaux d’Alep (910-930) et de Leningrad se contentent de les distinguer par un alinéa12.

Jusqu’à la fin du XVe s. environ, les psaumes du Psautier hébreu étaient cités par les numéros attribués dans la LXX, division également identique aux versions latines en usage13. Nous ne savons pas précisément quand la LXX a assigné un numéro d’ordre aux psaumes, mais cela semble très ancien. De toute façon, depuis la fin du XVe s., les deux numérotations ont quelques différences:
Hébreu (TM)
Grec (LXX)
1-8
9
10 11–113 114
115 116,1-9 116,10-19 117–146 147,1-11 147,12-20 148–150
1-8 9,1-21 9,22-39 10–112 113,1-8 113,9-26 114
115 116–145 146
147 148–150

Les Ps 9-10 sont comptés pour un seul dans la LXX. La majo- rité des spécialistes considère qu’ils forment une composition unique, de structure alphabétique, qui aurait été divisée après coup afin de dissocier l’action de grâce de la lamentation. On conclura qu’ici c’est la LXX qui a raison de maintenir l’unité.

Quant aux Ps 114-115, la situation est plus complexe. Nous pouvons distinguer au moins trois positions:

- La Ière est suivie par l’actuelle édition de la Biblia Hebraica Stuttgartensia: le Ps 115 commence après le verset 8 du Ps 114. Elle est attestée dans les premières éditions de la Bible hébraïque qui numérotent les psaumes: la Bible de Brescia (1494), la Bible de Félix de Prato (1515) et la Bible de Ben Hayim (1525). La tradition de commencer le Ps 115 après le verset 8 du Ps 114, par «Non pas à nous» semble venir de Babylonie. En effet, l’usage liturgique du Hallel (prière composée des Ps 113-118) dans le Seder pascal (repas pascal juif) aurait influencé certains copistes juifs de diviser le Ps 114 en deux psaumes14.

- La IIème se trouve dans la liste des sections du livre des Psaumes découverte parmi les fragments de la Genizah de Caire. Le Ps 115 n’y est pas séparé du psaume précédent par une nouvelle section. Les Codex d’Alep, de Leningrad et de Cambridge ne distinguent pas non plus dans leur mise en page les Ps 114 et 115. Cette position est appuyée par la structure du Midrash Tehillim: on y traite le Ps 114,1 à 3, puis le Ps 116,1 à 16, en omettant le Ps 115,115.

- La IIIème est attestée par la version copte sahidique des psaumes (qui dépend de la LXX): le Ps 113 LXX (114-115 TM) y est divisé en deux après le verset 11. Au IIIe s. Origène (185-253) a pu constater cette division dans certains manuscrits grecs: il y avait un Alléluia après le verset 11, divisant ainsi le Ps 113. Origène, constatant que les manuscrits hébreux auxquels il avait accès main- tenaient l’unité de cet ensemble, n’a pas retenu cette position. Elle est encore attestée par le papyrus Bodmer XXIV daté du IIIe-IVe s. et contenant dans ses 42 feuilles les Ps 17,45–118,4416.

Cette divergence dans les manières de diviser les Ps 114-115 dans la tradition manuscrite ne pourrait-elle constituer un argu- ment en faveur de leur unité primitive telle que transmise par la LXX?

3. Le psaume 151

Á la fin du Psautier liturgique orthodoxe on trouve un psaume supplémentaire qu’on a pris l’habitude d’appeler le Ps 151. Con- sidéré comme «non-canonique», il est accompagné de la mention: «Ce psaume n’est jamais lu à l’Église». Selon Natalio Fernández- Marcos il fut écrit directement en hébreu, en Judée entre le IIIe et le Ier s. av. J.C. environ17. L’original hébreu, exclu du TM, est conservé en grec dans une version abrégée et remaniée qu’on trouve dans les trois codex: Sinaïticus (IVe s.), Vaticanus (Ve s.) et Alexandrinus (Ve s.)18. On sait depuis 1759 que ce psaume «hors numérotation» (ἔξω τοῦ ἀριθμοῦ selon Athanase d’Alexandrie, Lettre à Marcellinus 14 et 25) existe également en langue syriaque dans la Peshitta; il y est le premier des 5 psaumes supplémentaires qu’offre cette dernière (Ps 151-55, appelés «Psaumes apocryphes de David»)19. En 1956, une version développée du psaume a été trouvée en hébreu dans la grotte 11 de Qumrân (11Q5, colonne XXVIII). Dans ce rouleau – contenant des psaumes et des extraits de psaumes, canoniques et extra-canoniques, et datant des années 30-50 ap. J.C. –, le Ps 151 de la LXX correspond à deux compositions diffé- rentes numérotées 151A et 151B20. Le Ps 151 se retrouve également sous ce numéro dans des traductions latines la Vetus Latina et la Vulgate, ainsi que dans au moins quatre versions orientales du Psau- tier: copte, éthiopienne, arménienne et géorgienne. Il est omis dans la plupart des Psautiers latins à partir du XIIIe s.

4. Les titres des psaumes

Dans la LXX, quasiment tous les psaumes sont précédés d’un titre. Certains viennent du texte hébreu, d’autres sont originaux. En hébreu, leur sens exact est parfois obscur d’où la grande diversité de traduction d’une version à l’autre. Selon Gilles Dorival, il y a deux types d’écarts qui séparent les titres de la LXX de ceux du TM: les uns sont quantitatifs (le nombre de mots est plus grand en hébreu ou, le plus souvent, en grec) et les autres sont qualitatifs (les titres contiennent le même nombre de mots, mais leur signification est différente)21.

Commençons par les différences quantitatives. En comparant les deux textes, on constate: 1) absence conjointe de titres: Ps 1-2; 2) titres identiques quantitativement: 109 psaumes sur 150; 3) titres présents en TM, absents dans la LXX: 0; 4) titres présents dans la LXX, mais absents du TM: 21; 5) titres plus longs dans la LXX que dans le TM: 18 psaumes [ou 17 si l’on ne retient pas le Ps 29 (30) selon le Vaticanus]; 6) titres plus longs en hébreu qu’en grec: Ps 121 (122) et 123 (124) intitulés «cantiques des degrés» et où le TM offre en plus «à David», précision absente dans la plupart des manuscrits de la LXX; 7) psaumes sans titre: 34 dans le TM et 2 dans la LXX (Ps 1–2). Au total, il y a ainsi une quarantaine d’écarts quantitatifs; plus d’un titre sur quatre est différent dans les deux traditions textuelles.

Quant aux écarts qualitatifs, prenons l’exemple d’une indication courante dans les titres des psaumes du TM, dont le sens reste assez obscur: ַל ְמ ַנ ֵצּ ַח , expression qui revient 55 fois. Elle est souvent traduite par «du chef de cœur» ou «du maître du cœur». La LXX nous offre par contre l’indication εἰς τὸ τέλος («pour la fin»), ce que traduit l’hébreu ָל ֶנ ַצח . De leur côté, les trois an- ciennes révisions juives de la LXX proposent différentes indications de lecture: Aquila a τῷ νικοποιῷ («à celui qui fait victo- rieux»), Symmaque a ἐπινίκιος (sous-entendu «chant [ὕμνος] de victoire») et Théodotion a εἰς τὸ νῖκος («pour la victoire»). Les trois ont attaché le sens de למנצח non pas au verbe ָנ ַצח (être brillant, être perpétuel, être victorieux), mais au nom ֵנ ַצח (éclat, vic- toire, perpétuité, éternité). La version latine des psaumes tra- duite par Jérôme à partir de l’hébreu va dans le même sens: vic- ְל ַשׁ ָבּ ָחא tori et pro victoria. Le Targum des Psaumes dit seulement («pour psalmodier»).
Or, la tradition des Sages connaissait ces deux possibilités de lecture, comme le montre à cet égard le commentaire midrashique du Ps 24: «nos maîtres enseignent: s’il y a „lamnaṣṣēah avec instrument à cordes”, cela introduit un psaume qui ,) ַל ְמ ַנ ֵצּ ַח( traite du temps à venir» (Midrash Tehillim 24 § 3). La Ière partie de l’explication repose sur ַל ְמ ַנ ֵצּ ַח du TM, tandis que la fin du texte suppose l’existence de la forme ָל ֶנ ַצח . Une interprétation semblable se trouve dans le commentaire au titre du Ps 12: «Dans les jours du Messie, cependant, il aura huit cordes sur la harpe, comme il est dit: „lamnaṣṣēah (ַל ְמ ַנ ֵצּ ַח ), avec instruments à huit cordes”» (Midrash Tehillim 81 § 3). Ou encore dans l’enseignement de R. Joshua: «[Les psaumes introduits par ִניצּוּ ַח [victoire] et ׅנגּוּן [mélodie] se réfèrent au temps à venir» (Talmud de Babylon, Pessahim 117a).

Le TM est donc le reflet d’une perception des titres comme indications musicales – ce qui est habituel dans le judaïsme médiéval et dans l’exégèse biblique moderne. Cela apparaît déjà chez Symmaque et dans le Targum. Par contre, chez Théodotion et Aquila, la «victoire» en question se rapporte plutôt aux victoires de David, d’Israël ou de Dieu. Quant au titre proposé par la LXX, il est ici, comme dans d’autres cas, l’écho d’une interprétation juive de type eschatologique et messianique: «pour la fin», «pour l’éternité», «pour le temps à venir». Les Pères de l’Église vont la commenter en ce sens22.

5. La date et le lieu de traduction

Traditionnellement, on considère que la traduction des psaumes a été réalisée au cours du IIe s. av. J.C. à Alexandrie (Égypte) pour des buts liturgiques. Cependant, le conservatisme propre à la liturgie juive a pu tout aussi bien encourager le maintien de l’hébreu dans les synagogues d’Alexandrie. Certains spécialistes soutiennent donc que la traduction de tout ou partie du Psautier aurait été effectuée plus tard, au Ier s. av. J.C. et, de plus, non pas en Égypte, mais en Palestine23.

Ces diverses hypothèses et points de vue contradictoires se basent principalement sur l’analyse philologique du vocabulaire des psaumes de la LXX et sur le choix de traduction de certains mots hébreux. L’association faite dans l’étude de Dominique Bar- thélemy entre la traduction des psaumes et la révision de la LXX connue sous le nom de kaigé (καίγε) – une série de livres de la Bible grecque où les traducteurs ont rendu ַגם (aussi) par καίγε (au moins) – a constitué également un point supplémentaire dans la discussion. Selon Barthélemy ce principe de traduction serait le reflet d’une traduction nécessairement réalisée en Palestine vers le Ier s. av. J.C.24

De plus, la cohérence de la méthode de traduction laisse penser que le Psautier de la LXX doit être considéré, comme affirmé au début du dernier siècle par Francis Woodgate Mozley25 et confirmé plus récemment par Olivier Munnich26, comme l’œuvre d’un seul traducteur ou d’une seule équipe de traducteurs qui ont tra-vaillé sur un Vorlage hébraïque prémassorétique proche du TM.

Le débat reste ouvert et, pour l’instant, il serait plus prudent d’en tirer la conclusion suivante: il est difficile de déterminer la date et le lieu de la traduction.

6. Quelques particularités du texte

De manière générale, la traduction grecque du Psautier grec s’inspire du travail réalisé pour le Pentateuque. Elle lui emprunte son vocabulaire ainsi que son exégèse, quitte à ajouter parfois des mots pour rendre le sens plus clair. De ce fait, elle se caractérise par une grande fidélité à l’original hébreu, mais aussi par une créativité littéraire. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques particularités des psaumes de la LXX par rapport à ceux du TM:

- On sent d’abord dans la LXX la nécessité de mieux adapter la lecture des psaumes à l’usage liturgique. Ainsi, les exclamations sont assimilées pour rendre la lecture plus cohérente. Par exemple, le Ps 21,27(LXX) proclame: «Les pauvres mangeront et seront rassasiés, ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent, leur cœur vivra éternellement!» face au Ps 22,27(TM): «Les pauvres mangeront et seront rassasiés, ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent, „que vive votre cœur à jamais!”». Les noms propres de pays, peuples ou lieux, dont le sens hébreu risquait d’être inconnu aux lecteurs de langue grecque, sont désormais lus comme des noms communs. Par exemple, «les bêtes du Bashân» deviennent «les forts taureaux» (Ps 21[22TM],13), «la Philistie» devient «les étrangers» (Ps 59[60],10); les lieux de «Mériba et Massa» deviennent «rébellion et tentation» (Ps 94[95TM],8). Parfois même, certaines expressions jugées trop dures sont atténuées, comme dans le Ps 7,12 où le vers: «Dieu est le juste juge, et un Dieu menaçant chaque jour», est traduit dans la LXX par: «Dieu est un juge juste, fort et patient, n’amenant pas la colère tous les jours».

- Les traducteurs ont essayé de trouver les meilleurs équivalents grecs aux principales catégories verbales hébraïques. Ainsi, la forme qatal du verbe hébreu (qui décrit habituellement une action accomplie dans le passé ou dans le présent) a été traduite par l’aoriste indicatif; la forme yiqtol (qui décrit habituellement une action inaccomplie dans le présent ou le futur) a été traduite ordinairement par le futur indicatif; le participe hébreu a souvent été traduit par le présent indicatif et parfois par le participe. Pourtant, ils ne sont pas rares les cas où la LXX emploie un aoriste là où le TM a un yiqtol, ce qui entraîne des conséquences importantes pour la compréhension des psaumes. Grâce à l’aoriste, qui situe l’action à un moment indéterminé du passé, la LXX décrit comme réalisés les événements qui dans le TM se déroulent dans le présent ou le futur. Par exemple, le Ps 54(55TM),17 dit: «J’ai crié vers Dieu, et le Seigneur m’a exaucé», face au texte hébreu correspondant: «je crie/je crierai [...] me sauve/me sauvera». Ainsi, en grec la prière du psalmiste reçoit déjà son accomplissement et constitue dans le même temps un signe d’espérance future.

- La LXX insiste plus que le texte hébreu sur certains thèmes très chers au judaïsme postexilique. La clarification de la doctrine de la rétribution/punition future conduit à accentuer le caractère moralisateur des psaumes, d’où la variante du Ps 88(89TM),11a: «Tu as humilié l’orgueilleux, tu l’as blessé à mort» face à l’hébreu: «C’est toi qui as écrasé le cadavre de Rahav». On trouve aussi des développements dans le domaine de l’angélologie, comme dans le Ps 96(97TM),7c: «Adorez-le, tous ses anges!» face à l’hébreu: «Prosternez-vous devant lui, tous les dieux!»; ou de la démonologie, comme dans le Ps 95(96TM),5a: «Car tous les dieux des nations sont des démons» face à l’hébreu: «Car tous les dieux des nations sont des vanités». Enfin, le salut et le jugement ont un caractère messianique et eschatologique, tel qu’il est exprimé dans le Ps 15(16TM),10: «Car tu n’abandonneras pas mon âme aux enfers, et tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption» face à l’hébreu: «Car tu n’abandonnes pas mon âme au shéol, tu ne donnes pas ton fidèle voir la fosse».

- Dans quelques passages, la LXX offre un texte qui n’est pas moins difficile que celui du TM. Lorsque les traducteurs ont été confrontés à un texte original problématique, ils l’ont rendu, faute de mieux, par un mot à mot inintelligible (cf. Ps 2, 11-12; 16, 14; 67, 7.15; 74, 7; 88, 13; 93, 20; 101, 24; 138, 16.20; 140, 5-6). Néanmoins, même là où la LXX semble ignorer le sens exact d’un mot hébreu, la traduction grecque n’est en aucun cas dépourvue de sens. Des expressions comme «libre parmi les morts» (Ps 87, 5), «du sein, avant l’étoile du matin, je t’ai engendré» (Ps 109, 3), «je me suis éveillé et je suis encore avec toi» (Ps 138, 18), «le Seigneur est Dieu, et il nous est apparu» (Ps 117, 27), peuvent être fécondes dans la mesure où elles entraînent d’autres lectures du texte. Effectivement, ces textes peu clairs ont exercé sur les exégètes chrétiens de l’âge patristique l’attrait d’une énigme et leur ont permis d’en proposer à leur tour des «relectures» à la lumière du mystère du Christ.

- Enfin, une dernière particularité du Psautier de la LXX con- cerne la présence des additions chrétiennes attestées par certains témoins, surtout de la tradition de Haute-Égypte. Un des exemples ְיה ָוה ָמ ָל􏰁 :les plus célèbres est le Ps 95(96TM),10. Là où l’hébreu dit («Le Seigneur règne»), quelques manuscrits de la LXX ont: ὁ κύριος ἐβασίλευσεν ἀπὸ τοῦ ξύλου («Le Seigneur régna sur le bois»). Sous cette forme, ce verset psalmique est cité dans l’Épître de Barnabé (8, 5), par Justin (Dialogue avec Tryphon 73; Première Apologie 41, 4) et par Tertullien (Contre Marcion 3, 19 et 3, 21; Contre les Juifs 10, 11 et 13, 11). En réalité ἀπὸ τοῦ ξύλου est un ajout chrétien au texte grec. Origène rejeta ces mots et on ne les re- trouve plus dans les Psautiers «hexaplaires». Cependant, comme le verset était entré sous cette forme à une date ancienne dans la liturgie, l’ajout subsiste dans la Vetus Latina (ou «version Veille- Latine»): Dominus regnavit a ligno27.

Le texte des psaumes dans la LXX n’est donc pas toujours identique à celui du TM, malgré une forte similitude littéraire. Dans certains cas, le texte hébreu de base devait être corrompu ou bien s’écarter de ce qui deviendra le TM, ce qui explique certaines différences. Mais cette argumentation ne suffit pas lorsqu’il faut rendre compte des divergences plus fondamentales. C’est pour- quoi, le Psautier de la LXX ne doit pas être considéré comme un pur décalque d’un texte hébreu ancien. Il est aussi le témoin de la façon dont celui-ci était compris par ses traducteurs à la lumière de l’exégèse juive de leur temps ou de son adaptation au con- texte hellénistique des lecteurs.

7. Dans la liturgie catholique

Vers la fin du IVe s., en Occident, la multiplicité des versions latines – regroupées aujourd’hui sous le nom de Vetus Latina – posait problème tant pour la lecture publique des Écritures que pour les débats avec les Juifs ou les hérétiques. En Afrique, par exemple, Augustin se plaint de l’excessive confusion régnant parmi les versions en usage (De Doctrina Christiana 2, 15, 22). À la base de ces versions il y avait un texte grec de la LXX non encore révisé par Origène et antérieur à la révision de Lucien.

En 383, le pape Damase (366-384) chargea donc son secrétaire Jérôme (347-420) de revoir dans son intégralité la traduction latine des Écritures. Celui-ci, de 384 à 390 environ, débuta son travail par les Évangiles et par une révision rapide du Psautier en s’appuyant sur la LXX. L’identification de cette révision est problématique tant dans la forme que dans le contenu. Pour la majorité des spécialistes elle ne correspond pas, comme on l’a longtemps cru, au Psautier romain en usage dans toute l’Italie jusqu’au temps de Pie V (1566-1572), puis seulement dans la basilique Saint- Pierre de Rome. Le Psautier romain est à ranger plutôt dans le complexe de la Vetus Latina28.

En 386, après la mort de Damase, Jérôme se rend à Bethléem où il continue de réviser la traduction latine des livres de l’Ancien Testament à partir du texte grec de la LXX revue par Origène. Un deuxième psautier naît: Psalmi iuxta LXX, appelé plus tard Psalterium Gallicanum. Ce nom provient de son utilisation dans la plupart des offices des monastères de la Gaule, notamment après qu’Alcuin (732-804) l’introduisit dans sa Vulgate. Le pape Pie V (1541-1614) l’adopte dans la liturgie romaine, puis Clément VIII (1536-1605) l’inclut dans son édition Vulgata Sixto-Clementina (1592). Il fut le Psautier officiel de la liturgie romaine jusqu’à la version promulguée par Pie XII en 194529.

Á partir de 390 et jusqu’en 405, Jérôme, soucieux de l’hebraica veritas, entreprend une traduction de l’ensemble de l’Ancien Testament à partir de l’hébreu. Sa troisième traduction du Psautier, Psalterium iuxta Hebraeos, ne sera jamais populaire. On la trouve aujourd’hui à côté des Psalmi iuxta LXX dans l’édition critique de référence Biblia sacra juxta vulgatam versionem, publiée en 1969 à Stuttgart et sans cesse rééditée.

Aujourd’hui, le texte officiel de la Bible latine est celui de la Nova Vulgata. Commencée à l’initiative Paul VI (1963-1978), elle fut promulguée par Jean-Paul II (1978-2005) en 1979. La traduction des psaumes est une vérification de la Vulgate sixto-clémentine à partir de l’hébreu et du grec ainsi qu’une légère harmonisation stylistique. C’est elle qui est insérée dans les éditions de la Liturgia Horarum.

8. Dans les traductions contemporaines

Dans les Bibles protestantes, les psaumes sont traduits à partir du TM. C’est désormais le cas de toutes les entreprises modernes de traduction, confessionnelles ou non. Lorsque le texte hébreu présente une difficulté, par exemple un mot, une forme incompréhensible ou énigmatique, les traducteurs font souvent appel à la LXX (ou à d’autres traductions anciennes faites à partir de la LXX) afin de trouver une solution. Pour certains passages, la LXX a en effet gardé la trace d’une lecture primitive du texte, d’où son intérêt.
Voici quelques exemples où, dans les traductions modernes, le TM obscur peut être corrigé d’après la LXX:

Ps 8, 2 (TM): Dieu notre Seigneur qu’il est magnifique ton nom sur toute la terre, que tu donnes [ְתּ ָנה : verbe נתן, Qal, impératif, 2e m.sg.] ta majesté au-dessus des cieux!
Ps 8, 2 (LXX): Seigneur, notre Seigneur, comme est admirable ton nom par toute la terre! Car ta magnificence a été élevée [ἐπήρθη: verbe ἐπαίρω, Indicatif, aoriste passif, 3e sg.] au-dessus des cieux.
Ps 11, 7 (TM): Car Dieu est juste, il aime les choses justes, ;) ָפּ ִנים/ ָפּ ֶנה( nom m.pl : ָפ ֵנימוֹ[ l’homme ?] droit regardent ses faces[ au sg. ָפּ ָניו (sa face)].
Ps 10, 7 (LXX): Car le Seigneur est juste et il aime les actes de justice, sa face [πρόσωπον: nom Ac. n.sg. + αὐτοῦ pron. pers. G., 3e m.sg.] regarde la droiture.
Ps 16, 2 (TM): Tu as dit [ָא ַמ ְר ְתּ : verbe אמר , Qal, parfait, 2e f.sg.] à Dieu: Seigneur tu es mon bien, rien au-dessous de toi.
Valorile religioase într-o societate modernă 133
Ps 15, 2 (LXX): J’ai dit [εἶπα: verbe λέγω, Indicatif, aoriste active, 1ère sg.] au Seigneur: Tu es mon Seigneur, tu n’as pas besoin de mes biens.
Ps 22, 17 (TM): Car m’ont entouré des chiens, une bande de malfaisants m’a cerné comme un lion [ָכּ ֲאִרי : prép. ֲאִרי + ְכּ nom m.sg.] mes mains et mes pieds.
Ps 21, 17 (LXX): Car des chiens nombreux m’ont entouré, le rassemblement des méchants m’a environné, ils ont percé [ὤρυξαν: verbe ὀρύσσω, Indicatif, aoriste active, 3e pl.] mes mains et mes pieds.
Ps 30, 13 (TM): Afin qu’il te chante une gloire [ָכּבוֹד : nom m.sg.] et ne se taise pas [ִי ֹדּם : verbe דּמם, Qal, imparfait, 3e m.sg.]; Seigneur mon Dieu, je te rendrai grâce toujours.
Ps 29, 13 (LXX): Afin que ma [μου: pron. pers. G., 1ère sg.] gloire te chante et que je ne sois plus affligé [κατανυγῶ: verbe κατα- νύσσομαι, Subjonctive, aoriste passive, 1ère sg.]; Seigneur mon Dieu, je te confesserai toujours.
Ps 110, 3 (TM): Ton peuple [des dons?] volontaires au jour de ta vigueur avec éclats de sainteté du sein de l’aurore à toi la rosée de tes jeunesses [ַי ְל ֻד ֶתי􏰀 : nom f.pl. (ַי ְלדוּת ) + 􏰀 suf. pron., 2e m.sg.].
Ps 109, 3 (LXX): Avec toi la souveraineté au jour de ta puissance, dans les splendeurs des saints, du sein avant l’étoile du matin je t’ai engendré [ἐξεγέννησά: verbe ἐκγεννάω, Indicatif, aoriste active, 1ère sg. + σε pron. pers. Ac., 2e sg.].
Ps 145, 13-14 (TM): (מ) Ton règne un règne de toutes les éter- nités et ta domination sur toute génération et génération. (ס) Le Seigneur retient tous ceux qui tombent, redresse tous ceux qui sont courbés.
Ps 144, 13 (LXX): Ton royaume est un royaume éternel et ta souveraineté en toute génération et génération. Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles et saint en toutes ses œuvres. [un manuscrit de Qumran ajoute aussi à la fin du verset un vers supplémentaire, qui correspond à la lettre נ manquant dans l’ordre alphabétique hébreu].

Il est important de se rappeler que le Psautier de la LXX a été pour longtemps le seul texte canonique de l’Église. Ce dernier était alors lu aux catéchumènes, chanté lors de la liturgie, récité dans la prière et traduit dans différentes langues. Du coup, l’usage actuel du TM dans la plupart des traductions modernes ne justifie pas l’oubli ou l’abandon de la LXX, lien essentiel avec l’Église des Apôtres et des premiers chrétiens.

Si des divergences entre les deux versions sont évidentes, elles peuvent néanmoins s’avérer complémentaires. Le Psautier de la LXX n’est pas une simple traduction ad verbum ou ad sensum, mais aussi une relecture, une réécriture dans une nouvelle langue et culture, une interprétation du texte hébreu à l’intérieur de la tra- dition juive de l’époque? C’est d’ailleurs cette ancienne exégèse juive qui a permis de pouvoir prier avec le Psautier dans l’Église.

REVUE:
[Théologie et Vie]
NOTES
Dans les paroisses orthodoxes, le Psautier est lu entièrement chaque semaine et deux fois par semaine pendant le Carême. Pour cette lecture continue, les 150 psaumes sont divisés en 20 cathismes (καθίσματα), dont chacun comprend trois parties ou stases (στάσας). Les cathismes sont répartis à différents offices, selon le temps liturgique et le jour de la semaine. En plus des psaumes qui sont récités en entier, on retrouve des versets psalmiques à différents moments de la Prière des heures et de la Divine Liturgie, comme les prokimena (προκείμενον) chantés avant la lecture de l’Écriture Sainte. 

2 Pour faciliter la traduction des Psaumes, à l’initiative de l’ABU, un comité de spécialistes sous la direction de Dominique Barthélemy a cherché à diffuser et à fournir de nombreux éléments de critique textuelle à l’usage des traducteurs. Ainsi, dans le rapport final, publié en 2004 sous la direction d’Adrian Schenker, le comité a pris position sur chacune des 589 difficultés principales que le TM pose à ses traducteurs, dont certaines trouvent des solutions dans la LXX; cf. Domi- nique Barthélemy (éd.), Critique textuelle de l’Ancien Testament. Psaumes, OBO 50/4, Göttingen - Fribourg, Academic Press, Vandenhoeck & Ruprecht, 2004 

Parmi ceux-ci, deux codex sont particulièrement importants: le Papyrus Bodmer XXIV (R 2110), daté du IIIe-IVe s. et contenant les Ps 17,45–118,44 dans 42 feuilles, et le Papyrus Chester Beatty XIII (R 2149), du IVe s. contenant les Ps 72–88 sur quatre bifeuillets; cf. Albert Pietersma, Two Manuscripts of the Greek Psalter in the Chester Beatty Library Dublin (Anal Bib 77), Rome, Biblical Institute Press, 1978; Albert Pietersma, «The edited text of P. Bodmer XXIV», Bulletin of the American Society of Papyrologists 17 (1980) 67-79.

Voir à ce sujet l’article d’Albert Pietersma, «The Present State of the Cri- tical Text of the Greek Psalter», dans: Anneli Aejmelaeus, Udo Quast (éd.), Der Septuaginta-Psalter und seine Tochterübersetzungen (Mitteilungen des Septua- ginta-Unternehmens 24), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2000, 12-32.


Il s’agit d’Ambroise, Barnabé, Chrysostome, Clément d’Alexandrie, Clément de Rome, Constitutions Apostoliques, Cyprien, Cyril d’Alexandria, la Didascalie des apôtres, Irénée, Justin le Martyr, Origène, Tertullien, Théodore de Mop-sueste et Théophile d’Antioche; cf. Alfred Rahlfs, Psalmi cum Odis (Septuaginta: Vetus Tes- tamentum Graecum 10), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1931, 20-21.
Valorile religioase într-o societate modernă 119

Pour plus d’information sur le texte critique utilisé actuellement dans les traductions liturgiques, voir Jacques Lépissier, «La traduction vieux-slave du Psautier», Revue des études slaves 43 (1964) 59-72; Peter Galadza, «Trans-lating the „Septuagint” Psalter into English for Use in Byzantine Christian Worship: The State of the Question and Several Proposals», dans: Steven Hawkes-Teeples, Basilius Groen, Stefanos Alexopoulos (éd.), Studies on the Liturgies of the Christian East. Selected Papers from the Third International Congress of the Society of Oriental Liturgy, Volos, May 26-30, 2010 (Eastern Christian Studies 18), Leuven, Peeters Publishers, 2013, 59-100; Stefan Munteanu, «Canoniques, non- canoniques ou bons à lire? La réception des livres „deutéro-canoniques” de la Septante dans l’Église orthodoxe», Biblicum Jassyense 4 (2013), 39-62.

Les 147 psaumes sont obtenus en réunissant les psaumes 9 et 10, 70 et 71, 114 et 115, 117 et 118,4, tandis que le Ps 118,5-29 est tenu pour un seul; cf. Christian David Ginsburg, Introduction to the Massoretico-Critical Edition of the Hebrew Bible, Londres, The Trinitarian Bible Society, 1897, 18, 777.

Cf. Israel Yeivin, «The Division into Sections in the Book of Psalms», Textus 7 (1969) 76-102, 78.

Cf. David C. Mitchell, «Les psaumes dans le judaïsme rabbinique», Revue théologique de Louvain 36 (2005) 166-191, 167.

10 Cf. C.D. Ginsburg, Introduction to the Massoretico-Critical Edition of the Hebrew Bible, 583, 536, 725.

11 Pour une description plus détaillée du contenu de chaque manuscrit de psaumes, voir Peter W. Flint, The Dead Sea Psalms Scrolls and the Book of Psalms (STD 17), Leiden, Brill, 1997.

12 Pour les différentes façons de séparer les psaumes dans les deux codex, voir Paul Sanders, «Five Books of Psalms?», dans: Erich Zenger (éd.), The Compo- sition of the Book of Psalms (BETL 238), Leuven, Uitgeverij Peeters, 2010, 677-687.

13 Dans les Bibles latines, le Psautier restera jusqu’au XVs. le seul livre qui n’était pas divisé en chapitres. En effet, on se référait dans les offices aux psaumes non par un numéro, mais par leurs premiers mots en latin: Beatus vir pour le Ps 1, Quare fremuerunt pour le Ps 2, Domine quid multiplicati pour le Ps 3, Cum invocarem pour le Ps 4, etc.

14 Ainsi la Ière partie du Hallel, récitée avant de boire la troisième coupe, se termine en Ps. 114,8 et la IIpartie, récitée avant de boire la quatrième coupe, commence au verset suivant, Ps. 115,1. Cette influence liturgique dans la division des Ps 114–115 se manifeste encore dans 5 mss Kennicott et 15 mss De Rossi, ainsi que dans l’édition de Brescia 1494; cf. D. Barthélemy (éd.), Critique textuelle de l’Ancien Testament. Psaumes, xxx.

15 Ce midrash est un gros recueil de gloses rabbiniques sur les psaumes qui a été compilé au fil des siècles. Les commentaires des Ps 1–118 (vers XIs.) et les commentaires (plus tardivement) des Ps 119-150 (à l’exception des Ps 123 et 131) ont été imprimés à Constantinople (1512) par Shmuel ben David ben Nachmiash; cf. The Midrash on Psalms (Yale Judaica Series 13.2), trad. William Gordon Braude, New York, Yale University Press, 1959, 223, n. 1.

16 Dans le papyrus Bodmer XXIV, le Ps 113 (LXX) est partagé en deux: ρι̅γ (113,1-11) et ρ̅ιδ (114,12-26). A la fin du verset 11, le Ps 113 comporte le signe > pour indiquer la séparation des psaumes, puis le numéro ρ̅ιδ, puis ἁλληλουϊα; cf. Rodolphe Kasser, Michel Testuz (éd.), Papyrus Bodmer XXIV. Psaumes XVII- CXVIII (Bibliotheca Bodmeriana. Papyri 24), Cologny-Genève, Bibliotheca Bod- meriana, 1967, 20, 225.

17 Cf. Natalio Fernández-Marcos, «David the Adolescent: on Psalm 151», dans: Robert J.V. Hiebert, Claude E. Cox, Pteter J. Gentry (éd.), The Old Greek Psalter. Studies in Honor of Albert Pietersma (ISOTSup 332), Sheffield, Sheffield Academic Press, 2001, 205-217, 216.

18 La souscription du Ps 151 est dans le Vaticanus: «Le psaume autographe sur David, et en surnombre, lorsqu’il mena le combat singulier contre Goliath»; dans l’Alexandrinus: «150 psaumes de David et un autographe»; dans le Sinai- ticus: «151 psaumes de David».

19 Cf. John Strugnell, «Notes on the Text and Transmission of the Apocryphal Psalms 151, 154 (=Syr II) and 155 (= Syr III)», HTR 59 (1966) 257-281.

20 Cf. James A. Sanders, The Psalms Scroll of Qumran Cave 11 (11QPsa) (DJD 4), Oxford, The Clarendon Press, 1965, 54-64; Michael Segal, «The Literary Deve- lopment of Psalm 151: A New Look at the Septuagint Version», Textus 21 (2002) 139-158.

21 Pour cet argument, nous utilisons particulièrement l’article de Gilles Dorival, «Titres hébreux et titres grecs des psaumes», dans: Christian Amphoux, Keith J. Elliott (éd.), Textual Research on the Psalms and Gospels. Recherches textuelles sur les psaumes et les évangiles (Supplements to Novum Testamentum 142), Leiden - Boston, Brill, 2012, 3-18.

22 Cf. Albert Pietersma, «Septuagintal exegesis and the superscriptions of the Greek Psalter», dans: Peter W. Flint, Patrick D. Miller (éd.), The Book of Psalms: composition and reception (SVT 99), Leiden - Boston, Brill, 2005, 443-475, 470-471; Georg P. Braulik, «Psalter and Messiah: Towards a Christological Understanding of the Psalms in the Old Testament and the Church Fathers», dans: Dirk J. Human, Cas J. Vos (éd.), Psalms and Liturgy (JSOTSup 410), London, T&T Clark, 2004, 15-40.

23 Pour une information complète sur l’évolution de la recherche, voir Albert Pietersma, «The Place of Origin of the Old Greek Psalter», dans: Michèle P.M. Daviau, John W. Wevers, Michael Weigl, Paul-Eugène Dion (éd.), The World of the Aramaeans I: Biblical Studies in Honour of Paul-Eugène Dion (JSOTSup 325), Sheffield, Sheffield Academic Press, 2001, 252-274; Hermann-Josef Venetz, Die Quinta des Psalteriums: Ein Beitrag zur Septuaginta und Hexaplaforschung (PIRHT, Sect. Biblique et Masorétique 1:2), Hildesheim, H. A. Gerstenberg, 1974; Arie van der Kooij, «On the Place of Origin of the Old Greek of Psalms», VT 33 (1983) 67-74; Tyler F. Williams, «Towards a Date for the Old Greek Psalter», dans: Robert J.V. Hiebert, Claude E. Cox, Peter J. Gentry (éd.), The Old Greek Psalter. Studies in Honour of Albert Pietersma (JSOTSup 332), Sheffield, Sheffield Academic Press, 2001, 248-276.

24 Cf. Dominique Barthélemy, Les devanciers d’Aquila: première publication intégrale du texte des fragments du Dodécaprophéton trouvés dans le désert de Juda, précédée d’une étude sur les traductions et recensions grecques de la Bible réalisées au premier siècle de notre ère sous l’influence du rabbinat palestinien (SVT 10), Leiden, Brill, 1963. Pour le débat autour du rapport du Psautier grec avec la tradition kaigé (καίγε), voir les réflexions de Peter J. Gentry, «The Greek Psalter and the kaige Tradition: Methodological Questions», dans: Robert J.V. Hiebert, Claude E. Cox, Peter J. Gentry (éd.), The Old Greek Psalter. Studies in Honour of Albert Pietersma (JSOTSup 332), Sheffield, Sheffield Academic Press, 2001, 74-98.

25 Cf. Francis Woodgate Mozley, The Psalter of the Church: The Septuagint Psalms Compared with the Hebrew, with Various Notes, Cambridge, Cambridge Uni- versity Press, 1905, xii.

26 Cf. Olivier Munnich, «Indices d’une Septante originelle dans le Psautier grec», Biblica 63 (1982) 406-416.

27 En Occident, grâce à l’interprétation d’Augustin, Arnobe le Jeune et Cassio- dore, l’addition fut reprise dans l’usage liturgique. On la trouve dans l’Alléluia du Vendredi de Pâques: «Dites parmi les nations: Le Seigneur a régné par le bois» ou dans l’Hymne Vexilla Regis de Venance Fortunat (VIIs.): «Il s’est accompli l’oracle de David / qui, dans son chant inspiré / disait aux nations: / Dieu a régné par le bois (Regnavit a ligno Deus)»; cf. André Rose, Les Psaumes voix du Christ et de l’Église (Bible et vie chrétienne), Paris, P. Lethielleux, 1981, 159.

28 Voir sur ce point Estin Colette, Les psautiers de Jérôme à la lumières des tra- ductions juives antérieures (Collectanea Biblica Latina XV), Rome, San Girolamo, 1984, 26.

29 En mars 1945, par le Motu proprio In cotidianis precibus, Pie XII (1876-1958) promulgue une nouvelle traduction latine, le Psalterium Pianum. Réalisée à partir du texte hébreu par une commission présidée par le futur Cardinal Au- gustin Bea (1881-1968), cette version rompt avec le latin liturgique traditionnel. Peu de communautés religieuses ou monastiques l’adoptèrent pour les offices.
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samedi 29 décembre 2018

Père Placide [Deseille]: Les psaumes, prière de l'Eglise



Depuis l'Église primitive, les psaumes ont été le fondement de la prière liturgique de l'Église. Selon les Actes des Apôtres, l'Église de Jérusalem utilisaient les psaumes dans ses rassemblements ; elle suivait ainsi l'usage liturgique de la synagogue. Jésus lui-même cite à plusieurs reprises des versets des psaumes et avant de quitter la Chambre Haute de la Sainte Cène, il chante avec ses apôtres les psaumes, qui selon usage, clôturaient le repas pascal (cf. Mt 26, 30 et Mc 14, 26).

Le Psautier est la base de la Prière des heures, avec des psaumes fixes ou invariables et la lecture du Psautier en continue à certains offices de la journée. Pour cette lecture continue, les 150 psaumes sont divisés en 20 cathismes, dont chacun comprend trois parties ou stases. Les cathismes sont repartis à différents offices, selon le temps liturgique et le jour de la semaine.

En plus des psaumes qu'on récite en entier, on retrouve des versets psalmiques à différents moments de la Prière des heures et de la Divine Liturgie, par exemple, les prokimena, les versets des Alléluia et les chants de communion sont largement sinon entièrement composés d'extraits de psaumes.

Le psautier est une forme de prière facilement accessible à tous. Toutes les formes de la prière y sont représentées, depuis la prière de supplication pour l'assistance divine en diverses circonstances et la repentance pour ses fautes, à la reconnaissance pour les bienfaits divins, l'action de grâces et la louange de Dieu. Les psaumes ne sont pas des textes à lire - une simple lecture risque de passer à côté de leur beauté, de leur sagesse et de leur profondeur - mais ils sont d’abord des mots à prier. La récitation attentive et priante des psaumes nous place immédiatement devant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et nous révèle à la fois sa promesse envers l’humanité dans l’Ancien Testament, et son accomplissement dans le Christ Jésus, ainsi que la mission de l'Église et le rapport entre le chrétien et Dieu.

C'est pour cette raison que le Psautier est le thème de cette page. Nous présentons deux textes du Père Placide Deseille, higoumène du Monastère Saint-Antoine-le-Grand en France, sur « L'interprétation chrétienne des psaumes » et « Le Psautier, livre de prières de l'Église », extraits de l'Introduction de sa traduction des psaumes : Les Psaumes : Prières de l'Église, YMCA-Press, 1979. Nous vous proposons aussi un classement des thèmes des psaumes, selon une lecture chrétienne, également du Père Placide. Les extraits du livre du Père Placide sont reproduits avec son autorisation.

Outre la traduction de Père Placide, il y a deux autres traductions «orthodoxes» des psaumes : le psautier des Moines de Bois-Aubry, Livre des psaumes (Abbaye Saint Michel de Bois-Aubry, F-37120 Luzé, 1993) ; et celui de Père Denis Guillaume (traducteur de la plupart des livres liturgiques du rite byzantin) : Psaumes et Cantiques (Diaconie Apostolique).

Des versets des psaumes, regroupés par thème, sont disponibles aux Pages Orthodoxes La Transfiguration à la page Versets choisis des psaumes. Nous vous offrons la possibilité de télécharger le Petit Psautier des Pages Orthodoxes La Transfiguration. Ce « petit Psautier » contient la plupart des psaumes usuels des offices de rite byzantin, ainsi que les psaumes d'action de grâces de la Sainte Communion et les « psaumes des montées » (cathisme 18). Cliquez ICI pour plus d'informations et pour télécharger le fichier.

L’INTERPRÉTATION CHRÉTIENNE DES PSAUMES

La " relecture " chrétienne de la Bible

Le but que visaient les Pères en commentant l’Écriture n’était pas de déterminer le sens originel des textes en tenant compte de l’état des doctrines à l’époque de leur rédaction, et de dégager le message qu’ils contenaient pour les contemporains des prophètes et des scribes inspirés. En cela, l’exégèse des Pères diffère profondément de la critique historique contemporaine. Certes, ils savent que ces textes s’inscrivent dans une histoire, ils en précisent à l’occasion — les Antiochiens surtout — le Sitz im Leben, l’insertion dans la vie de l’ancien Israël, et leur interprétation est loin d’être aussi naïve que certains seraient portés à l’imaginer. Mais la Bible est essentiellement pour eux une parole que Dieu adresse aujourd’hui à l’Église du Christ. C’est pourquoi leur attention se porte avant tout sur la réinterprétation qui en a été faite par les Apôtres et l’Église primitive ; c’est dans son sillage que s’inscrivent leurs commentaires (9).

La catéchèse de l’âge apostolique avait revêtu, dans une très large mesure, la forme d’une relecture de l’Ancien Testament à la lumière du mystère du Christ. Jésus lui-même en avait donné l’exemple : Vous scrutez les Écritures... Ce sont elles qui rendent témoignage de moi (Jn 5,39) ; Commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait (Lc 24,27). En lisant la Bible, toute l’Église des Pères ne fait que revivre l’expérience de Luc et de Cléophas : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, tandis qu’il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures ?. Pour l’Église chrétienne, l’histoire du texte biblique ne s’est pas achevée avec la fin de l’ancienne Alliance ; il continue à vivre au sein de la communauté croyante, il reste pour elle Parole de Dieu vivante et agissante, et c’est le sens de cette parole que l’exégète a pour tâche de scruter et d’annoncer. Toute la liturgie orthodoxe aura pour trame cette réinterprétation chrétienne de l’Ancien Testament.

Les Psaumes et le Christ

Le Psautier est le résumé, le condensé, de toute l’Écriture. La tradition juive et la tradition chrétienne en ont eu vivement conscience. On conçoit aisément que les interprètes chrétiens y aient retrouvé, autant et plus que dans tous les autres livres inspirés, les mystères du Christ, de l’Église et de ses sacrements, les souffrances et les résurrections spirituelles du chrétien, l’annonce de la fin des temps. Avant même d’en faire le manuel fondamental de sa prière, l’Église a lu les psaumes dans ses assemblées liturgiques comme des prophéties. Saint Athanase, dans sa lettre à Marcellin (10) — qui est l’une des meilleures introductions à la lecture chrétienne des psaumes — a établi une liste (non exhaustive) des passages les plus classiques où la tradition a vu des témoignages du mystère du Christ :

" Presque chaque psaume rappelle les Prophètes. Sur l’avènement du Sauveur, et qu’il viendra en tant que Dieu, ainsi s’exprime le psaume 49 : Le Seigneur viendra dans sa splendeur, notre Dieu, et il ne gardera pas le silence ; le psaume 117 : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Nous vous avons bénis de la maison du Seigneur. Le Seigneur est Dieu et il nous est apparu.

" Il est le Verbe du Père, comme le chante le psaume 107 : Il envoya son Verbe, et il les guérit, et il les arracha à leur corruption. Celui qui vient est lui-même Dieu et Verbe envoyé. Sachant que ce Verbe est Fils de Dieu, il fait parler le Père au Psaume 44 : Mon cœur a proféré un Verbe excellent ; et encore au psaume 109 : De mon sein je t’ai engendré avant l’étoile du matin. Qui peut-on dire engendré du Père, sinon son Verbe et sa Sagesse ? Sachant que c’est à lui que le Père disait : Que la lumière soit, et le firmament, et toutes choses, le livre des Psaumes contient aussi, au 32e : Par le Verbe du Seigneur les cieux ont été affermis, et par l’Esprit de sa bouche toute leur puissance.

" Il n’a pas ignoré la venue du Christ ; c’est même le sujet principal du psaume 44 : Ton trône, ô Dieu, est un trône éternel ; c’est un sceptre de droiture que le sceptre de ton règne. Tu as aimé la justice, et haï l’iniquité : c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint de l’huile d’allégresse, de préférence à tes compagnons.

" Pour que nul ne s’imagine qu’il est venu seulement en apparence, il montre qu’il sera homme, lui par qui tout a été fait, au psaume 86 : La Mère Sion dira : Un homme et un homme est né en elle, et lui-même, le Très-Haut, en a posé les fondements. C’est dire : Le Verbe était Dieu, tout a été fait par lui, et le Verbe s’est fait chair.

" Aussi, connaissant la naissance virginale, le Psalmiste ne l’a point passée sous silence, mais il l’exalte aussitôt, au psaume 44 : Écoute, ma fille, regarde et incline l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père ; alors le roi désirera ta beauté. C’est encore analogue à ce que dit Gabriel : Réjouis-toi, pleine de grâce, !e Seigneur est avec toi. Après l’avoir appelé Christ, il montre aussitôt sa naissance humaine d’une vierge quand il dit : Écoute, ma fille. Gabriel, lui, l’appelle par son nom, Marie, parce qu’il est étranger à sa naissance ; David, puisqu’elle est de sa race, l’appelle avec raison sa fille.

" Après avoir dit qu’il serait homme, les Psaumes montrent naturellement qu’il est passible dans sa chair. Le psaume 2 prévoit la conjuration des Juifs : Pourquoi les nations ont-elles frémi, et pourquoi ces vaines méditations des peuples ? Les rois de la terre se sont dressés, et les princes se sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Christ. Au psaume 21, le Sauveur lui-même fait connaître son genre de mort : Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort ; des chiens nombreux m’ont entouré ; l’assemblée des méchants m’a environné. Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. Ils m’ont observé, ils ont fixé les yeux sur moi, ils se sont partagé mes vêtements, ils ont tiré au sort ma tunique. Percer ses mains et ses pieds, qu’est-ce, sinon indiquer son crucifiement ?

" À tous ces enseignements, le Psalmiste ajoute que ce n’est point pour lui, mais pour nous, que le Seigneur souffre ainsi ; toujours en son nom, il dit au psaume 87 : Sur moi s’est appesantie ta colère, et au 68e : La dette que je n’avais pas contractée, il m’a fallu l’acquitter. Il a souffert une mort indue, pour nous ; la colère excitée contre nous par la transgression, il l’a chargée sur lui, qui nous dit par Isaïe : Il a pris toutes nos faiblesses, tandis que nous-mêmes, nous nous écrions dans le psaume 137 : Le Seigneur paiera en retour pour moi, et le Saint-Esprit au 71e : Il sauvera les fils des pauvres, il humiliera le calomniateur, car il a délivré le pauvre du puissant et l’indigent que personne ne secourait.

" Aussi les Psaumes prédisent-ils son ascension corporelle au ciel, au psaume 23 : Levez vos portes, princes ; et élevez-vous, portes éternelles, et le roi de gloire entrera ; au 46e : Dieu est monté au milieu des acclamations, le Seigneur au son de la trompette. Ils annoncent qu’il siègera, au psaume 109 : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds. Le psaume 9 célèbre la déroute du diable : Tu as siégé sur le trône, toi qui juges selon la justice ; tu as frappé de crainte les nations et l’impie a péri.

" Le Psalmiste ne cache point que le Christ a reçu tout jugement de son Père ; il annonce sa venue comme juge au psaume 71 : Ô Dieu, donne au Roi ton jugement et ta justice au fils du roi, pour qu’il juge ton peuple avec justice et tes pauvres selon le droit ; au 49e : Il appellera les hauteurs du ciel et la terre pour juger son peuple. Les cieux annonceront sa justice, car le juge, c’est Dieu ; au 8le : Dieu s’est dressé dans l’assemblée des dieux ; au milieu d’eux, il juge les dieux.

" Beaucoup de psaumes nous apprennent la vocation des Gentils, surtout le 46e : Toutes les nations, battez des mains, acclamez Dieu avec des cris de joie ; le 71e : Devant lui se prosterneront les Éthiopiens, et ses ennemis lècheront la poussière ; les rois de Tharsis et les îles lui offriront des présents, les rois d’Arabie et de Saba lui feront des offrandes, et tous les rois de la terre l’adoreront, tous les peuples le serviront. "

Mais ce ne sont pas seulement des versets choisis qui parlent du mystère du Christ ; pour les Pères, c’est l’ensemble du Psautier qui y trouve sa clé. Déjà l’exégèse traditionnelle d’Israël — dont, précisément, les Septante comme les Targumin nous apportent l’écho — avait perçu que " le chatoiement des mille versets du psautier " s’ordonnait autour du thème central du salut messianique et de son retentissement dans la conscience de chacun des membres du Peuple de Dieu : " Ainsi les mystiques d’Israël purent-ils lire les psaumes comme l’apocalypse des déferlements eschatologiques et des libérations messianiques. Dans la lutte contre la bête, le Psautier constituait la réserve des vraies armes de combat ; chaque verset, chaque mot était un glaive, et chaque glaive avait pouvoir de mort sur les démons. Avant l’heure de la délivrance finale, le juste devait se familiariser avec la puissance des mots, comme le guerrier fourbit ses armes pour y trouver le réconfort de l’âme dans le jaillissement des feux mystiques du verbe... Le Psautier est ainsi le mémorial de l’histoire d’Israël, le livre des libérations universelles. Chaque psaume y est conçu comme un acte et une illustration d’un drame qui commence aux premiers jours de la création, se déroule aux exils et aux calvaires de l’histoire pour s’achever dans la gloire de la parousie. La scène en est l’univers tout entier : les cieux, la terre, les abîmes et l’enfer ; le temps y rejoint l’éternité et l’action se déroule du commencement à la fin du monde... Les deux acteurs de ce duel, aux frontières de la vie et de la mort, et qui s’affrontent du commencement à la fin, sont l’Innocent et le Révolté (11). "

Il suffit d’ouvrir le livre des Psaumes pour constater qu’il est fait de chants de combat, d’appels de détresse et de chants de confiance dans l’épreuve, et de cantiques de triomphe. Cette atmosphère guerrière correspond bien à la vision patristique de la Rédemption, conçue moins comme une expiation pour le péché (encore que ce motif n’en soit aucunement absent), que comme un combat victorieux du Verbe incarné contre Satan et toutes les puissances du mal.

C’est pourquoi il sera facile au chrétien qui prie avec les psaumes de reconnaître dans le peuple d'Israël ou dans le juste qui y sont mis en scène, le Christ, l’Église ou le chrétien individuel, appelé à revivre tout le combat rédempteur ; les attaques des ennemis, les épreuves et les fautes qui accablent le peuple ou le psalmiste, ce sont les assauts du démon et de toutes les forces mauvaises contre lesquels le Christ et, en lui, les siens, ont à lutter. Et les chants de victoire et de louange deviennent des cantiques célébrant la Résurrection et le Règne du Christ, l’instauration de l’Église, les résurrections spirituelles du chrétien et la restauration universelle de la création à la Parousie. Jérusalem, c’est l’Église ; la terre promise et ses biens, ce sont les dons spirituels du Nouveau Testament et les récompenses eschatologiques ; la Loi divine devient la Loi nouvelle promulguée par le Christ et inscrite dans nos cœurs par l’Esprit-Saint.

LE PSAUTIER, LIVRE DE PRIÈRES DE L’ÉGLISE

À la lumière de l’interprétation que le Nouveau Testament suggère déjà et que les Pères ont développée, chaque psaume peut être considéré soit comme une prophétie qui parle du Christ, soit comme une prière que le Christ adresse à son Père, soit comme une prière que l’Église ou le fidèle adresse au Christ ; souvent d’ailleurs, ces aspects interfèrent et se recouvrent. Il était dès lors normal que le Psautier devienne le livre de prières par excellence de l’Église (12).

La récitation suivie du psautier

La tradition nous met en présence de diverses manières d’utiliser les psaumes : récitation suivie du Psautier ; choix de certains psaumes ; choix de versets adaptés à des circonstances particulières. La première consiste en une lecture ou une récitation des psaumes, en suivant leur ordre numérique. C’est le type de récitation que prévoient les règles de la stichologie des psaumes à l’office. Mais cette récitation suivie était utilisée aussi dans la prière solitaire, et de nombreux témoignages nous montrent des hommes de Dieu qui consacraient une grande partie de leurs nuits ou de leurs journées à cette lecture du psautier. L’un des plus évocateurs nous est fourni par le Discours au sujet de l’abbé Philémon, contenu dans la Philocalie :

" Voici quelle était la liturgie du saint vieillard Philémon : la nuit, il psalmodiait paisiblement tout le Psautier avec les cantiques et récitait une péricope de l’Évangile. Le reste du temps, il se tenait assis, disant à part soi : Seigneur, aie pitié! et cela si longtemps qu’il ne pouvait plus le prononcer. II donnait le reste au sommeil, et, vers l’aube, il psalmodiait Prime, puis s’asseyait sur son siège, tourné vers l’Orient, tantôt psalmodiant, tantôt récitant par cœur un passage de l’Apôtre [les Épîtres] et de l’Évangile. C’est ainsi qu’il faisait chaque jour, psalmodiant et priant sans cesse et se nourrissant de la contemplation des choses célestes, au point que son esprit était souvent élevé à la contemplation et qu’il n’aurait su dire s’il était encore sur la terre... Un jour, un frère lui demanda : " Pourquoi, Père, plus qu’en toute autre Écriture divine, trouves-tu tant de douceur dans le Psautier, et pourquoi en le récitant paisiblement, parles-tu comme si tu étais en conversation avec quelqu’un ? Il lui répondit : " Je te l’affirme, mon enfant, Dieu a imprimé la force des psaumes dans ma pauvre âme, comme pour le Prophète David. Je ne saurais plus être séparé de la douceur des contemplations multiformes qui s’y trouvent. Car les psaumes contiennent toute la divine Écriture (13). "

Cette lecture cursive du Psautier s’enracine dans la tradition juive elle-même, qui avait reconnu que le groupement et l’ordre des psaumes, loin d’être arbitraire, suivait une progression assez rigoureuse : " Le premier livre est presque entièrement consacré à nous décrire les péripéties de la guerre que le Réprouvé livre au Juste... L’accent dominant est celui des douleurs... Le livre deuxième nous introduit dans un univers dominé par des accents plus sereins. Non plus le drame de la guerre contre le réprouvé, mais celui des exils de l’âme... Les 17 psaumes du livre troisième constituent la collection médiane, la plaque tournante du Psautier. Elle est massive, statique, implacable méditation du passé dans l’attente des fins dernières... Le juste puise dans l’histoire les raisons de son espérance invincible... Avec le quatrième livre, le cap des sacrifices semble franchi ; nous pénétrons dans la joie sans mélange des puissances du Seigneur. La gloire de Dieu, sa sublimité, son Règne victorieux..., tels sont les thèmes de l’admirable série 90-101... Le livre cinquième nous fait gravir les derniers sommets de la montagne sainte (14). "

Saint Hilaire de Poitiers, s’attachant à la division des 150 psaumes en trois séries de 50, affirme que toutes tendent au même but, qui est de faire connaître le Christ et son œuvre de salut ; mais chacune a son caractère particulier : la première vise notre affranchissement du péché ; la seconde enseigne la guérison par la pratique des vertus ; la troisième fait pressentir l’exaltation de l’homme après sa mort (15).

Saint Grégoire de Nysse, qui suit la division en cinq livres, voit dans l’ordre des psaumes " un enchaînement significatif, akolouthia, par lequel, du psaume 1 au psaume 150, nous sommes conduits par la main du début de la vie spirituelle jusqu’à son sommet, qui est participation à la béatitude au sens absolu, celle de Dieu même. Mieux, la division traditionnelle du psautier en cinq parties structure en cinq degrés distincts cette ascension progressive vers la béatitude (16). " L’établissement de semblables correspondances entraîne inévitablement, dans le détail, certains artifices, mais il est indéniable que la simple lecture suivie du Psautier rend aisément sensible une progression qui, dans l’ensemble, correspond au mouvement que les Pères y ont décelé.

L’usage de psaumes et de versets choisis

Pour être fructueuse la récitation suivie du Psautier présuppose une connaissance approfondie de l’Écriture qui a toujours été l’apanage des moines et des chrétiens plus fervents et plus formés. C’est pourquoi, dans la liturgie des églises séculières, on recourait plus volontiers à des psaumes choisis en fonction de l’heure — par exemple les psaumes 148, 149 et 150 à l’office du matin, le psaume 140 à celui du soir, le psaume 50 en maintes circonstances — ou des fêtes liturgiques. De même, dans la prière personnelle, il est possible de recourir à des psaumes variés, en fonction des besoins du moment : saint Athanase, dans sa lettre à Marcellin déjà citée, dresse un long catalogue des psaumes, classés par sujets.

Une autre manière encore d’utiliser les psaumes est d’employer des versets isolés ou des groupes de versets, également en fonction de nécessités précises. C’est le cas, dans les livres liturgiques, des versets, des répons, des prokimena qui jalonnent les offices. Dans la prière personnelle, le choix des versets sera commandé par les besoins de l’âme, la nature des tentations à vaincre ou des sentiments à exprimer. Ici encore, la Vie de saint Antoine nous donne un exemple en quelque sorte archétypique de cet usage des psaumes : Antoine oppose à la tentation les versets du psaume 67 que la tradition liturgique a liés indissolublement à la célébration pascale de la victoire du Christ : Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dispersés, et que ceux qui le haïssent fuient devant sa face (17). Manière significative de suggérer que dans l’ascète, c’est le Christ qui revit son triomphe sur Satan. L’" antirrhétique " d’Évagre le Pontique — dont le choix s’étend d’ailleurs à des versets de toute l’Écriture — est l’exemple le plus systématique de cet usage dont les vies des saints offrent d’innombrables témoignages.

Les psaumes et la prière monologique

Le recours à des versets isolés de psaumes nous met sur la voie de ce que les Pères appelleront la " prière monologique ", ou prière faite d’une seule parole, d’une seule phrase brève, très fréquemment répétée (18). Saint Cassien, qui est le premier à exposer d’une manière détaillée la " tradition secrète " des Pères du désert à ce sujet, donne précisément comme formule à cette prière un verset psalmique, le " Dieu, viens à mon aide ; Seigneur hâte-toi de me secourir " du psaume 69. Il voit dans la répétition inlassable de ce verset un merveilleux instrument de purification du cœur et de simplification intérieure, une sorte d’épiclèse divinement efficace, apte à attirer sur l’âme l’effusion gratuite des plus hauts dons de contemplation (19). Le texte, cité plus haut, de la vie de l’Abbé Philémon est un témoin de l’usage analogue, qui a tellement marqué la liturgie orthodoxe, du Kyrie éleison indéfiniment repris. Mais le Kyrie eleison n’est-il pas un des leitmotive du Psautier, le principal peut-être ?

Au sein de l’Orthodoxie, des traditions spirituelles diverses pourront mettre l’accent tantôt sur la psalmodie, tantôt sur la prière monologique, dont la " prière de Jésus " est devenue peu à peu la formule privilégiée. Sans préjudice de cette légitime diversité, le conseil de saint Jean de Gaza demeurera la règle d’or en la matière : " Est-il bon de s’adonner au " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi ", ou bien vaut-il mieux dire par cœur des passages de la Sainte Écriture et réciter des Psaumes ? — Il faut faire les deux, un peu de l’un et un peu de l’autre. Car il est écrit : Il fallait faire ceci sans omettre cela (Mt 23,23) (20).

Les Psaumes et la " théoria "

De par son caractère discursif, la psalmodie ressortit à la praxis, à la phase active de la vie spirituelle. " Nous qui sommes imparfaits, dit saint Jean Climaque, nous avons besoin non seulement de la qualité, mais de l’abondance quantitative des mots pour notre prière ; en effet, cette dernière procure la première. Il est dit en effet : Il donne une prière pure à celui qui prie assidûment, même si sa prière est entachée de divagations et pénible (21). " C’est cette prière persévérante, dont la qualité viendra seulement de l’effort incessant, sans cesse mis en échec et sans cesse repris, que nous faisons pour être attentifs aux mots que nous prononçons, pour y " enfermer notre pensée ", qui nous acheminera, s’il plaît à Dieu, vers la " prière véritable " que l’Esprit-Saint lui-même fait sourdre dans nos cœurs (22). Alors — mais alors seulement — vaudra le conseil de saint Grégoire le Sinaïte : " Quand tu vois la prière opérer et s’exercer dans ton cœur sans s’arrêter, ne l’arrête pas ni ne te lève pour psalmodier, à moins que, par une disposition divine, elle ne te quitte la première. Car ce serait quitter Dieu au dedans pour lui parler au dehors et se détourner des hauteurs vers la terre... (23).

Extrait du Psautier de David 
traduit 
par 
Père Placide de bienheureuse mémoire

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